Beaucoup d’approbation et un grand « mais »

Plus de diplômés, meilleures rémunérations, nouvelles compétences : l’Association des infirmiers et infirmières veut valoriser la profession. Préconisée par l’initiative, la facturation directe de certaines prestations aux caisses-maladie est sévèrement critiquée.

La pression sur le personnel infirmier s’accentue. Les maladies chroniques et la polymorbidité augmentant, les besoins de prestations de soins augmentent eux aussi. Beaucoup d’infirmiers et d’infirmières souffrent d’un stress aigu ; frustrés, ils sont environ 2400 par an à abandonner leur métier, qu’ils ne pratiquent pas plus de 15 ans en moyenne.

Le système actuel est à bout de souffle
Difficulté supplémentaire : la Suisse parvient à moins de la moitié des diplômes en soins infirmiers dont elle a besoin. L’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) met en garde contre l’imminence d’une « pénurie aiguë de personnel infirmier ». D’ici à 2030 devront vraisemblablement être recrutés 65 000 nouveaux infirmiers et infirmières; voici déjà passablement de temps, que les hôpitaux, Spitex et les foyers sont obligés de recruter leur personnel spécialisé à l’étranger. Ce système est à bout de souffle. De guerre lasse, l’ASI a donc finalement emprunté la filière politique et trouvé en la personne du conseiller national UDC Rudolf Joder un allié. L’initiative parlementaire qu’elle a lancée a toutefois rencontré des résistances politiques et échoué sur le refus du Conseil national d’entrer en matière. Ne se laissant pas décourager pour autant, l’ASI a lancé ensuite l’initiative populaire « Pour un renforcement des soins infirmiers » – cette fois avec succès : plus de 120 000 signatures recueillies en huit petits mois.

Une copie de la campagne des médecins de famille
Cette manoeuvre politico-tactique s’inspirait du succès de la campagne menée pour le même motif par les médecins de famille, qui avait séduit en mai 2014 près de 90 pour cent des votants. L’ASI espérait un résultat du même ordre. Elle aussi exigeait de la classe politique une amélioration de la profession, avec des salaires plus élevés en cours de formation, une meilleure rémunération des prestations infirmières et la possibilité pour le personnel infirmier de facturer directement aux assureurs-maladie certaines de ses prestations.

Le Conseil fédéral
L’initiative s’est avérée être un moyen de pression efficace. Le Parlement, le Conseil fédéral, les cantons, les hôpitaux, les foyers, les assureurs-maladie et même le corps médical s’intéressent aux revendications des initiants. Si le renforcement des soins fait l’unanimité, quelques exigences, par contre, sont contestées, à commencer par la facturation directe des prestations de soins aux assureurs-maladie. Ces derniers mettent en garde contre une augmentation quantitative des soins qui aurait immanquablement pour corollaire des coûts supplémentaires et des primes plus chères. Et le Conseil fédéral de craindre du coup pour son objectif, qui est de mettre un frein aux dépenses de santé. D’où rejet de l’initiative et refus d’entrer en matière sur des mesures contraignantes, dont, par exemple, l’obligation pour les cantons d’aider financièrement le futur personnel infirmier.

Un Conseil national favorable aux demandes du personnel infirmier
Si le Conseil national rejette, lui aussi, l’initiative, il se prononce en revanche pour le contre-projet indirect élaboré par sa Commission, lequel reprend à son compte des points centraux de l’initiative populaire. L’offensive de formation qu’il propose vise à mettre fin à la pénurie d’infirmières et d’infirmiers et à élargir les compétences de ce personnel, qui serait autorisé à facturer directement aux caisses certaines de ses prestations. Sont en outre prévues, sur une durée de huit ans, des aides financières devant permettre d’augmenter le nombre de diplômés.

Les craintes du corps médical
Face à la pénurie de personnel qualifié dont souffre le domaine de la santé, les médecins sont, eux aussi, favorables à la valorisation de la profession infirmière, mais se demandent si les mesures préconisées par l’ASI, qu’ils estiment trop fortement axées sur la mise en valeur des diplômes en soins infirmiers, sont réellement efficaces. Ils craignent notamment que les soignants hautement qualifiés désertent le chevet du malade au profit de fonctions managériales qu’ils exerceraient même en dehors des hôpitaux ou des foyers.

Actuellement, les compétences et les responsabilités sont réglées selon un modèle voyant les infirmiers travailler sous la supervision des médecins. L’initiative demande un assouplissement de ce modèle. Si les soignants diplômés venaient à être considérés comme des prestataires autonomes seraient à craindre entre médecins et personnel infirmier des conflits de compétences et des rapports de responsabilité confus dont pâtiraient à la fois la qualité des traitements ainsi que la sécurité des patients. Toujours selon les médecins, le texte de l’initiative passe sous silence un point central : celui de la responsabilité civile. Si les soignants sont habilités à traiter des patients sous leur propre responsabilité, il faut, disent-ils, que leur responsabilité puisse être engagée en cas de faute professionnelle.

Une méthode inappropriée
L’initiative populaire s’attire aussi les critiques des institutions dans lesquelles infirmières et infirmiers sont particulièrement nombreux. S’il est vrai que les associations des hôpitaux, Spitex et les foyers approuvent fondamentalement les objectifs de l’ASI, ils n’en jugent pas moins la méthode inappropriée et s’opposent à ce que les soins deviennent un objet constitutionnel. Leur position rejoint en la matière celle des cantons, à savoir que les professions ne doivent pas faire l’objet dans la constitution d’un traitement spécial.

C’est maintenant au Conseil des États de délibérer de l’initiative populaire de la profession infirmière. Si ses initiants parviennent à lui arracher d’autres concessions, celle-ci pourrait bien être retirée. Mais on resterait néanmoins sur l’impression d’une occasion manquée, venant de ce que le monde politique n’ait pas eu à coeur d’améliorer de sa propre initiative les conditions cadres des infirmiers, tout comme celles des médecins de famille. Il n’y a que la menace de l’initiative populaire pour le faire bouger. Ce n’est pas là une politique de la santé réfléchie.

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