À fausses prémisses, fausse politique

Un rapport d’experts du Conseil fédéral entend contenir la montée des coûts du système de santé. Or les mesures préconisées vont à l’encontre d’une bonne politique de la santé et sont contraires à la Constitution. Le rapport est une illustration de la façon dont de fausses prémisses débouchent sur une fausse politique.

Deux prémisses traversent de la première à la dernière les pages du rapport du groupe d’experts, deux affirmations sur lesquelles se fondent les mesures drastiques que l’on veut administrer au système de santé – aussi fausse l’une que l’autre. Les experts commencent par problématiser le fait que la hausse annuelle des coûts du système de santé suisse est supérieure à la croissance économique. Ceci alors même que les économistes de la santé Pius Gyger et Fridolin Marty expliquaient, dans un article fort remarqué de la Neue Zürcher Zeitung du 05.05.2017, que la part croissante du produit intérieur brut que représentent les prestations de santé n’inspirait aucune crainte de finançabilité et que ce supplément de dépenses était même souhaitable dès lors qu’il profitait à la population.

Le rapport prétend ensuite que l’efficience du système de santé suisse peut être augmentée de 20 pour cent sans aucun préjudice pour la qualité des prestations. Ces 20 pour cent font une carrière étonnante. Bien qu’étant la moyenne de différentes estimations, ce chiffre est colporté comme s’il reposait sur une étude scientifique de notre système de santé. Et ce  sont ces 20 pour cent « d’air dans le système », pour reprendre le terme utilisé dans le jargon politique, qui constitueraient la base des mesures d’économie draconiennes que l’on veut infliger au système de santé.

Un budget global bancal
La première des mesures serait un budget global qui « plafonnerait » la hausse des coûts. Et le rapport de prendre – oh! ironie – l’exemple de l’Allemagne pour expliquer le fonctionnement d’un budget global. Et ce alors que des connaisseurs du système allemand comme le juriste Rainer Hess conseillent à la Suisse de ne pas répéter les erreurs dans lesquelles est tombée l’Allemagne. Selon Rainer Hess, un budget global peut se justifier dans un pays ayant une grande unité géographique et politique. Tout le contraire de la Suisse, dit-il, avec ses régions urbaines et rurales et son système politique fédéraliste. À quoi s’ajoutent les réserves que le budget global inspire aux spécialistes du droit constitutionnel. Le juriste st-gallois Ulrich Kieser rappelle par exemple que le budget global ne doit pas restreindre l’obligation de prestation.

Suppression du principe de territorialité
En exigeant que l’on assouplisse, voire raye purement et simplement de l’assurance obligatoire des soins le principe de territorialité, les experts prennent des risques juridiques. Il conviendrait d’envoyer un nombre croissant de patients se faire soigner à l’étranger, où le niveau des salaires et des coûts est plus bas, disent-ils pour justifier cette proposition, dont ils ajoutent qu’elle freinerait également le coût des prestations fournies en Suisse. Une argumentation qui laisse sans voix et semble ignorer les règles particulièrement rigoureuses que la Suisse impose pour la conduite d’un cabinet médical. Plus sévères qu’à l’étranger, nos exigences en matière d’hygiène coûtent beaucoup d’argent aux cabinets médicaux ainsi qu’aux hôpitaux. On ne peut que s’en féliciter puisque la qualité des traitements prodigués en Suisse ne s’en porte que mieux. Ce sont là des normes sévères, que les autorités suisses ne peuvent ni imposer ni contrôler à l’étranger. Aussi est-il choquant qu’elles envoient des patients se faire soigner à l’étranger pour économiser des sous.

Pay-for-Performance
Le groupe d’experts préconise en outre l’instauration d’un système Pay-for-Performance. Un système avec lequel la rémunération des médecins serait variable et qui nécessiterait, pour mesurer leurs performances, que l’on enregistre des critères tels que la satisfaction des patients ou l’amélioration de leur santé. Or l’instance chargée d’évaluer la « performance » des médecins ne posséderait généralement pas les connaissances médicales qui le lui permettraient, la complexité des processus de maladie et de guérison faisant que les traitements ne sont que partiellement standardisés et, par là, comparables. Aussi les antécédents et la personnalité du patient sont-ils indissociables du processus de guérison. Combien injuste serait-il alors de reprocher à un médecin de n’avoir pas réussi à faire baisser le poids d’un patient souffrant du diabète! Si s’instaurait une telle pratique, la relation médecin-patient en serait profondément perturbée.

Un financement uniforme
Il y aurait moyen de faire autrement. La stratégie mettant l’ambulatoire avant l’hospitalier répond aux intérêts des patientes et des patients. Selon divers calculs, elle permettrait, à elle seule, de faire environ 30 pour cent d’économies. Sa mise en oeuvre se heurte toutefois à des résistances politiques. Contrairement au secteur hospitalier, le secteur ambulatoire est, en effet, entièrement financé par l’argent des primes. Si les traitements ambulatoires augmentaient, le système actuel ferait que les cantons en profiteraient au détriment des caisses-maladie et de leurs assurés. Mais, contrairement aux autres mesures proposées par les experts, cela pourrait se faire sans aucune perte de qualité.

Légende

Un pays de contrastes: la diversité de ses régions et son système politique fédéraliste font de la Suisse un pays se prêtant particulièrement mal à l’instauration de budgets globaux. (Photo: Keystone)

Scroll to top icon