Le budget global est anticonstitutionnel

Le budget global se précise. En plus d’être catastrophique pour les patients, il serait, dit le Prof. en droit Ulrich Kieser, en contradiction avec la Constitution fédérale. Politique+Patient s’est entretenu avec lui des possibles conséquences juridiques.

L’initiative du PDC « Baisse des primes – pour un frein aux coûts de la santé », les trains de mesures I et II du Conseil fédéral visant à freiner la hausse des coûts dans le système de la santé, la motion de commission du Conseil des États « Prise en compte de l’accroissement du volume des prestations dans les négociations tarifaires » : Plusieurs projets politiques visent à un plafonnement des coûts de la santé, ce qui est dangereux. Le budget global fragilise la relation de confiance entre médecin et patient et risque d’instituer une médecine à deux vitesses, réservant les soins en temps opportun aux seuls assurés privés.

À quoi s’ajoute un aspect assez rarement évoqué dans le débat actuel sur les coûts de la santé, à savoir qu’uneassurance – dont fait partie l’assurance obligatoire des soins AOS – se reconnaît au fait qu’elle fournit, lorsque survient un cas d’espèce, la prestation à laquelle elle est tenue. En contrepartie de quoi, l’assuré lui verse des primes. C’est en cela que le budget global n’est pas de la nature d’une assurance. Appliqué à une assurance ménage, cela reviendrait en effet à dire qu’à partir du mois d’octobre une bicyclette volée ne serait plus remplacée ou qu’elle le serait, mais seulement au premier trimestre de l’année suivante.

Ulrich Kieser, vous avez dit plusieurs fois, en conférence publique, que le fait d’avoir pour le système de santé un budget global serait contraire à l’art. 117 de la Constitution fédérale, laquelle fait obligation à la Confédération d’instituer une assurancemaladie ayant précisément pour caractéristique de fournir lorsque survient un cas d’espèce une prestation préalablement définie. Un budget global serait donc incompatible avec l’esprit d’une assurance. Existe-t-il dans le processus politique un mécanisme capable d’empêcher un amendement posant problème aux yeux du droit constitutionnel ?
Non – il n’existe pas de mécanisme d’une efficacité absolue. Le Tribunal fédéral est tenu d’appliquer les lois fédérales, quand bien même elles enfreindraient la Constitution. Mais, conscient de sa responsabilité, le Parlement fait très attention, lorsqu’il légifère, de s’en tenir scrupuleusement aux règles du droit constitutionnel.

Comment se fait-il qu’un point aussi important soit si rarement abordé dans le débat politique sur le budget global et le système de santé ?
Le fait est que, dans l’assurance-maladie, la discussion sur les coûts en domine beaucoup d’autres et que la Constitution fédérale, qui est peut-être trop éloignée de toute cette discussion, précise que la Suisse n’a pas un « système de soins », qui permettrait sans doute des limitations de budget, mais, comme il est précisé à l’art. 117, un « système d’assurance », dans lequel le droit aux prestations est central, ce dont il découle que, si le coût des prestations est très élevé, c’est à l’assurance qu’il incombe d’assumer le risque. Le seul moyen de limiter les coûts que donne le système assurantiel est de réduire les prestations. Offrir les mêmes prestations à des remboursements devenus économiquement insuffisants n’est pas possible avec ce système.

À supposer que les mesures servant à fixer les objectifs d’évolution des coûts reprennent le principe de celles des deux trainsde maîtrise des coûts du Conseil fédéral : Serait-il possible à un patient dont le traitement aurait été différé en raison du budget global de traduire en justice son médecin ou un hôpital ?
Ce n’est pas exclu, au motif que le renvoi du traitement violerait le droit à la prestation. En d’autres termes : Le droit à la prestation subsisterait alors même que des mesures de maîtrise des coûts auraient conduit à ce qu’aucun médecin n’accepte plus de fournir la prestation.

Le budget est épuisé, mais il est interdit de réduire les prestations auxquelles le patient a droit. Que ferait-on dans ce cas ?
Le Tribunal fédéral, qui a déjà eu à se prononcer dans des cas comparables à celui-ci, a estimé que les prestations restaient néanmoins acquises au patient et qu’il incombait alors aux parties contractantes de renégocier leur accord tarifaire, de manière à ce que la prestation puisse être fournie. À défaut d’entente entre les parties, le tribunal fixe les indemnités.

A-t-on des exemples comparables pour d’autres assurances (sociales) ?
Oui, un arrêt concernant les appareils auditifs dans l’AI (TFE 130 V 163), dans lequel le Tribunal fédéral dit ceci : « Le fait d’appliquer les montants les plus élevés du modèle d’indications prévu contractuellement ne doit donc pas conduire à ce que soit refusé à une personne assurée l’appareil auditif que nécessitent les besoins d’insertion particuliers résultant de son invalidité. L’élément déterminant est toujours le droit à la remise d’un appareil auditif que confère la loi et, partant, le besoin de réinsertion propre à la personne assurée et auquel l’appareil auditif est censé satisfaire. »

Quels sont les retours que vous enregistrez, venant par exemple de juristes ou de politiciens, lorsque vous abordez ce sujet en public ?
Le sujet est encore assez peu débattu, mais j’ai entendu dire de plusieurs côtés que la discussion sur la maîtrise des coûts était en train de prendre la mauvaise direction.

Légende

Ulrich Kieser est professeur titulaire de droit des assurances sociales et de droit de la santé publique de l’Université de St-Gall ainsi que directeur suppléant de l’Institut für Rechtswissenschaft und Rechtspraxis (IRP-HSG).

Photo : màd

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